Qu'as-tu fait ? [Chloé]

[Suite au bug qui a supprimé tous nos messages de la dernière fois, je fais juste un résumé pour nos fidèles lecteurs ^^]

Rentrant des cours après avoir fait quelques courses, Alicia avait trouvé l'appartement vide. Chloé devait être avec des amies, Nicolas au parc avec Elisabeth et ses parents au travail... Elle n'avait donc rien eu d'autre à faire que de travailler sur ses cours, dans sa chambre. Au bout d'une bonne heure, elle avait entendu la porte d'entrée s'ouvrir et, curieuse, était sortie de sa chambre pour voir de qui il s'agissait. Et là... surprise.
Chloé, sa soeur, était arrivée avec les cheveux rose... Jusque là rien d'anormal. Mais elle y avait rajouté du bleu. Qu'avait-elle donc fait ? Une petite discussion s'imposait, aux yeux d'Alicia, qui était très protectrice envers sa petite soeur et surtout qui voulait la comprendre. Assises devant un thé, elles avaient discuté. Enfin, discuté n'était un terme qu'à moitié adapté parce qu'Alicia avait la nette impression que Chloé ne l'écoutait que d'une oreille. C'était de toute façon une conversation parfaitement stérile car elles avaient eu la même à chaque fois que la miss arrivait avec une autre couleur de cheveux et à chaque fois, elles en arrivaient à la même conclusion : "Malgré nos points communs, nous sommes très différentes".
Pour résumer leur conversation, en gros, Alicia avait reproché à Chloé de ne jamais écouter ce que sa famille lui disait, chose à laquelle la p'tite avait répondu qu'elle non plus. Vraiment ? Bon, on essaye autre chose : ne risquait-elle pas de le regretter ? Réponse de Chloé : "Tu es bien à me parler de choses à regretter, toi !". C'était une corde sensible qu'elle avait touché là, mais il en fallait bien plus pour destabiliser notre petite blonde... qui préféra mettre fin à la conversation.
Alors, Chloé s'était mise à dessiner, tandis qu'Alicia était aller chercher un livre de médecine dans sa chambre pour étudier encore un peu. Seulement, l'heure tournait, la famille n'allait pas tarder à rentrer et donc à se mettre à table... Il fallait donc préparer le repas. Mais Clo' avait l'air captivée par le rangement de ses pastels, et ne cessait de changer leur ordre. Maniaque ? Non non, pas du tout.

"Je préfère quand tu commences par le rouge, passe par le jaune pour continuer avec le vert et rejoindre les couleurs froides. Tu m'aides à faire à manger ?"

Nell avait enfin arrêté de dessiner. Là, elle s'acharner à trouver le meilleur ordre de dégradé de couleurs pour ses pastels, mais surtout, elle réfléchissait. Elle se rappelait. Elle pensait à la discussion qui avait eu lieu entre sa soeur et elle, cette même dispute qui revenait toujours à propos de son style vestimentaire. Soit disant elle exagérait... Peut-être, mais tout était minutieusement calculé pour que l'image qu'elle délivrait d'elle soit celle qu'elle voulait montrer. Evidemment, Alicia qui était quelqu'un de classique et rangé – du moins Nell le pensait-elle – ne pouvait pas comprendre comment on pouvait faire preuve d'originalité ou tout du moins, comment on pouvait oser le montrer. Puis la rouquine n'y pensa plus, après tout, elle savait que la prochaine fois que quelque chose déplairait à sa soeur – et ça n'arrivait pas qu'une fois tous les cent ans ! - elle pourrait encore et encore utiliser les mêmes arguments qu'elle ne comprenait jamais.

« Ah bon ? »

A l'instant, la jeune fille avait cru trouver l'ordre idéal, mais celui que proposait sa soeur sembla encore meilleur tout d'un coup. Elle enleva donc tous les pastels de sa boîte pour les remettre à des places différentes. Heureusement qu'en tout, il n'y en avait que douze, ainsi, les ranger était une tâche moins fastidieuse que celle d'ordonner ses crayons de couleur... Sa boîte de cent-vingt crayons de couleurs sur trois étages. Elle alla rapporter la boîte à sa chambre, la mettant bien à sa place, retourna à la cuisine, accrocha son oeuvre qui se situait sur le bloc-note magnétique au réfrigérateur et put enfin répondre à Alicia :

« Je veux bien t'aider. Je fais quoi ? »

Elle commença par sortir les assiettes, les verres et les couverts. Elle mit la table, alignant le tout parfaitement, chaque distance entre les éléments d'un même set était égale aux autres et à celles des autres sets. En clair, tout était mesuré pour correspondre à l'idée que Nell se faisait de la table parfaite. Mais quand elle eut terminé, un doute s'empara d'elle.

« S'il te plaît... Dis-moi qu'on est bien six à manger à la maison ce soir....... »

En effet, elles ne seraient jamais d'accord sur le sujet. Malgré leurs points communs, elles étaient de ce côté bien trop différentes pour pouvoir se comprendre un jour. Et pourtant, Alicia essayait de comprendre sa frangine mais rien. Elle n'y arrivait pas. Elle y pensait encore, plongée dans son livre de médecine... avant finalement de se concentrer sur les symptomes et les traitements de la pneumonie. Son estomac criant famine, elle jugea intéressant de commencer à préparer le repas, au moins, tout serait prêt quand ses parents et ses cousins arriveront. Cependant, voyant sa soeur changer et rechanger l'ordre de ses pastels, elle ne put s'empêcher de donner son avis, sinon, elle y resterait des ordres. Et miracle ! Ca avait apparemment marché, puisque la miss Chloé avait remballé ses clics et ses clacs avant de revenir dans la cuisine pour lui filer un coup de main.

"Tu m'aideras à éplucher les concombres et à les couper, s'il te plaît."

Mais pour l'instant, Chloé semblait absorbée par la table qu'elle était en train de mettre. Alors qu'elle commençait à éplucher et couper les tomates pour la salade de pâtes, pendant que l'eau était en train de chauffer lentement, Alicia surveillait sa soeur du coin de l'oeil. Rah, ces manières de faire en sorte que tout soit parfait. La jeune femme elle aussi était un peu maniaque, mais pas à ce point tout de même. Pas au point de tout mesurer et de tout aligner ! Et ça l'inquiétait de voir sa soeur comme ça. Comment faisait-elle pour ne pas craquer ? Heureusement que la famille était assez propre et soignée, sinon, Chloé aurait très vite pêté un plomb.
Entendant sa soeur lui parler, Alicia se retourna et regarda la table. Waouh, c'est une belle table ça... Mais il y avait un petit problème, juste un seul.

"Euh oui, mais Elisabeth ne mange pas avec cette assiette et ces couverts. Il faut lui mettre son assiette Dora l'Exploratrice et ses couverts Barbapapa et Barbamama. S'ils ne sont pas à leurs places, c'est qu'ils sont encore dans le lave-vaisselle."

Les mains sur les hanches, le regard rivé sur la table mise, l'adolescente admirait son travail. Elle s'était surpassée : pas un défaut à l'horizon ! De son côté, Alicia préparait le repas, ce qui rappela à la jeune fille que sa tâche d'épluchage de concombres n'était pas encore effectuée. Mais pour l'instant, une autre bien pire l'attendait... Ses doigts se refermèrent sur les replis de sa tuniques et tous ses muscles se contractèrent. Puis lentement, très lentement, les coins de sa bouche se relevèrent, donnant à son visage une expression étrange, un sourire crispé, un air furieux. Elle se tourna rapidement et balança un :

« QUOI ?! »

Sa respiration s'accéléra, maintenant elle soufflait comme un boeuf, à la limite de l'hystérie. Là, elle aurait pu tirer la nappe et tout faire tomber par terre. Oui, tout casser, faire tout rentrer en contact avec le sol si brutalement que des morceaux se seraient retrouvés jusqu'à l'autre bout de l'appartement. Mais elle n'en fit rien. Oh, elle avait fait des progrès ces derniers mois ! Elle se calma alors, elle reprit une respiration normale et un sourire, plus ou moins normal, lui aussi.

« Bien. »

Mais elle avait des larmes dans les yeux. Elle rangea une assiette et une paire de couverts, attrapa ceux qui devaient les remplacer et en les posant un peu violemment sur la table, elle se demanda comment tout harmoniser à présent. Ses mains étaient à présent aggripées au bord de la table et elle se penchait un peu en avant pour soupirer et se calmer. Au fond d'elle, elle trouvait tout de même cela injuste qu'on subisse tous les caprices de cette gamine et qu'on ignore les siens. Surtout qu'elle, elle avait une raison ! Une très bonne raison de faire tout ça même ! Mais elle l'ignorait encore... Elle changea toute la disposition, réorganisant la table de manière à garder une certaine esthétique. Mais cette horreur d'assiette Dora – et tout le reste – gâchait toujours tout ! Néanmoins, en un temps record – elle était habituée aussi, il fallait dire – elle parvint à refaire une table correcte, non pas moins frustrée par le résultat.

« Bon, les concombres ! »

Mais avec toute cette histoire, elle se demanda s'il y en avait encore à éplucher.

Tournée vers la table, Alicia remarqua que sa soeur s'était vraiment appliquée pour mettre la table, mais elle n'avait pas prévu une telle réaction. Elle n'avait pas vu qu'elle commençait à se crisper et allait retourner s'occuper de ses tomates et de ses pâtes quand, par dessus le bruit de l'eau qui bouillait dans sa casserole, elle entendit la respiration de Chloé s'emballer, accélérer. Oh oh... Que se passait-il ? Ca faisait longtemps que ça ne lui était pas arrivé, pourtant, et d'ailleurs, ça ne lui était pas arrivé souvent. Mais là, avec la conversation qu'elles avaient eu avant... Oh oh...
Bon, calme-toi Alicia et occupe-toi de ta frangine. Rapidement, elle essuya ses mains avec un torchon et changea la casserole d'eau bouillante de plaque, et s'approcha de sa soeur, posant une main sur son épaule.

"Calme-toi Chloé... C'est rien... Calme-toi..."

*Pourvu qu'elle ne se mette pas à tout casser...*

Parce que ça lui avait déjà pris, rarement, mais ça lui était arrivé. Heureusement, elle sembla se calmer assez rapidement sur ce coup, même si Alicia voyait bien qu'elle avait envie de pleurer et qu'elle était encore énervée. Ca se voyait rien à qu'à la façon dont elle avait posé l'assiette et les couverts d'Elisabeth sur la table. Tandis qu'elle s'occupait de nouveau du repas, elle surveillait tout de même du coin de l'oeil Chloé qui, même si elle avait du mal à se calmer, reprenait le contrôle d'elle-même et avait fini par mettre la table avec tout ce qu'il fallait pour Lisa. Il ne s'agissait d'ailleurs pas d'un caprice, mais c'était que vu qu'elle était petite, il lui fallait une assiette plus creuse pour qu'elle ne mette pas à manger partout au cas où elle n'arriverait pas à planter du premier coup sa fourchette dans son morceau tomate, et pour éviter qu'elle se blesse avec une fourchette trop pointue par exemple.
Comprenant que sa soeur avait fini de mettre la table, Alicia y jeta un coup d'oeil avant de regarder sa soeur... qui aurait la chance de pouvoir éplucher encore quelques concombres, oui.

"Super, merci. Tiens, tu peux prendre mon économe, je l'ai rincé et les concombres sont là."

Lui tendant également la planche à découper, elle retourna s'ocuper de ses pâtes.

Maintenant, l'humeur de la gamine était remontée en flèche, parce qu'elle s'appliquait à tout bien éplucher et trancher de manière régulière. Alors qu'elle était arrivée à son ultime morceau de concombre, elle entreprit de finir de le couper en même temps qu'elle empilait les autres bouts. Les personnes maladroites et qui savent qu'elles le sont évitent généralement de faire plusieurs choses à la fois, surtout quand elles ont un couteau entre les mains. Les personnes étourdies et maladroites savent que ce n'est pas très recommandé mais ne se rappellent plus vraiment pourquoi alors elles le font quand même. Nell faisait partie de cette deuxième catégorie. Or, elle ne tarda pas à se rappeler la bonne raison qui la conduisait à faire attention lorsqu'elle faisait la cuisine.

« AAAAH !!!! Ca saigne !!! »

Observant avec horreur les flots de sang s'échapper de son doigt, elle ne savait pas quoi faire. Elle n'avait pas vraiment mal, mais il y avait tellement de sang qui coulait ! Comment une si petite entaille pouvait-elle laisser partir tout ça ? Premier réflexe, tout lâcher. Deuxième, s'écarter de la nourriture. Elle regardait alors le bout de son index, avec l'impression que le temps s'était arrêté. Envoûtée par le liquide si coloré, elle ne pensait plus à rien. Elle devait AB-SO-LU-MENT prendre une photo ! Tenant son doigt en l'air pour éviter d'en mettre de partout, d'une main elle essayait d'attraper son portable.

« Attends attends, faut que je prenne une photo ! » disait-elle à sa soeur comme à elle-même

Ah ben si éplucher et couper des concombres pouvait remonter le moral de Chloé, tant mieux alors. Au moins, elle s'était remise de sa grande déception quand elle avait appris que non, Elisabeth ne mangeait pas dans ces belles assiettes blanches et qu'il lui fallait celle avait sa copine Dora. Tout en surveillant les pâtes, Alicia préparait l'assaisonnement qui accompagnerait la salade de pâtes, faisant bien attention aux doses qu'elle mettait parce que soit elle mettait trop de vinaigre, soit trop de sel. Cependant, elle ne pouvait s'empêcher de penser au comportement de sa soeur quelques minutes plus tôt, alors qu'elle mettait la table... Peut-être qu'elle en parlera à leur père qui était médecin, parce qu'elle s'inquiétait tout de même.
Soudain, elle entendit un cri derrière elle, et le mot "saigne". Que s'était-il passé ? Il ne lui fallut pas plus d'une demi-seconde pour comprendre ce qui se passait : Chloé s'était coupée. D'un coup, abandonnant ses pâtes (qui allaient vraiment être râtées vu qu'à chaque fois, elle devait s'occuper de sa soeurette) et sa vinaigrette, elle se tourna vers la miss et s'approcha d'elle, prenant sa main pour regarder sa coupure et en évaluer la gravité. Que voulez-vous, on ne fait pas des études de médecine pour rien. Ca avait l'air de saigner pas mal... mais Chloé, plutôt que de s'inquiéter, de paniquer ou de demander de l'aide à sa soeur, voulait prendre une photo. Un peu étonnée, Alicia la regarda avant de lâcher sa main.

"Euh oui, si tu veux, mais fais vite, et rejoins-moi dans la salle de bains, il faut désinfecter tout ça."

Alors qu'elle allait se diriger vers ladite pièce pour sortir de l'armoire à pharmacie des compresses et du désinfectant, elle remarqua la casserole toujours sur la plaque. Raaah, les pâtes devaient être bonnes de toutes façons... Allez, on coupe tout, on fait attention à ne pas laisser la casserole trop au bord, et on va dans la salle de bains pour s'occuper de la photographe en herbe qui prenait son gros bobo en photo.

Photo prise, elle avait dû en suer à se tordre de tous les côtés pour atteindre son portable dans sa poche, bien cadrer, faire la mise au point. Mais, satisfaite du résultat, elle put se soucier du fait que sa main était couverte de sang et que ce n'était pas vraiment malin de laisser ça comme ça. Aussi, elle posa négligemment son portable – il faudrait qu'elle le range après ! - pour courir jusqu'à la salle de bain. S'improvisant docteur, elle prit un air sérieux pour dire :

« Je ne pense pas que ça soit bien grave, Mademoiselle, votre soeur s'en sortira. »

Elle tendit néanmoins son bras, pour qu'Alicia s'occupe de sa blessure de guerre. Elle n'y connaissait pas grand chose, mais elle avait dû couper le seul endroit qui faisait que ça saignait abondamment. En tout cas, elle avait encore toutes ses phalanges et elle n'avait pas mal. Ce qui voulait dire que tout ça n'était qu'un détail qui serait vite réparé une fois que le futur médecin de la famille s'en serait occupé. Elle put donc éclater de rire en toute sérénité. Au moins, ça faisait un peu d'action et quelque chose à raconter ! Se calmant peu à peu, elle ajouta :

« Heureusement que Beth est pas là quand même... »

Les enfants de l'âge d'Elisabeth étaient toujours très impressionnables et elle se doutait qu'avec la quantité de sang qui avait jailli de son doigt, ce 'bobo' aurait pu lui faire peur. Ou sinon, elle se préoccupait juste un peu trop pour sa petite cousine. Après avoir détaillé du regard les gestes d'Alicia, elle commença à regretter de ne pas avoir carrément fait un petit film. Bon... la prochaine fois qu'elle se couperait alors... Elle nota cette idée dans un coin de sa tête, imaginant déjà des scénarios surréalistes et des angles de vue donnant un effet angoissant.

*Un très gros plan.... en contre-plongée... oh ouais.....*

Et pendant que Chloé s'amusait à photographier son doigt plein de sang, Alicia était dans la salle de bains et sortait les compresses et le désinfectant. Au moins, tout serait prêt quand l'artiste arrivera... ce qu'elle fait rapidement, en courant parce que maniaque comme elle était, l'idée de mettre du sang partout dans la maison et de ne pas nettoyer le bobo devait sans doute la rendre malade.

"Oui, je pense aussi, cependant, il vaut mieux éviter une infection donc ma soeur a besoin du super Docteur Alicia."

Riant un peu elle aussi, elle s'assit au bord de la baignoire et invita sa soeur à en faire de même avant d'appliquer une compresse (non tissée, détail très important) sur la plaie, afin de stopper la légère hémorragie, assez importante tout de même pour un petit bobo comme ça mais ce n'était pas aujourd'hui que Chloé se viderait de son sang. Elle avait dû sectionner un petit vaisseau, voire plusieurs, rien de bien méchant mais il ne fallait pas le négliger. Demandant à Chloé de tenir la compresse en appuyant un peu, elle entreprit de nettoyer le reste de la main pour éviter de mettre du sang partout sur le carrelage de la salle de bains.

"En effet... Je ne préfère pas imaginer sa réaction, la pauvre."

A trois ans, elle aurait sans doute été effrayée et en aurait peut-être fait des cauchemars pendant la nuit... Faire un film ? Elle n'était pas toujours très nette la Chloé, mais Alicia l'adorait tout de même. Quoi qu'il en soit, elle continuait de s'occuper soigneusement de son petit bobo : maintenant que ça ne saignait plus, ou du moins plus beaucoup, elle pouvait désinfecter et mettre le petit pansement magique.

"Tu préfères un pansement avec des dinosaures bleus, jaunes et verts sur un fond rose ou un pansement tout moche et tout marron ?"

« Quelle question ! Est-ce que j'ai une tête à porter des trucs marrons ? »

Ca pouvait passer pour un trait d'humour, mais il suffisait de connaître assez bien Chloé pour savoir qu'elle était parfaitement sérieuse. D'ailleurs, elle ne souriait pas et avait vraiment de grands yeux enfantins de la fille qui voulait absolument son joli pansement bariolé. Il avait suffi d'évoquer les dinosaures de toutes les couleurs pour faire oublier son projet de film à la jeune fille, mais voir son reflet dans le miroir – par une association d'idées mystérieuse – le lui rappela soudain. Aussi, elle s'écria :

« Au fait ! »

Recevant l'écho de son exclamation bruyante, elle se tut un moment, pour reprendre presque en chuchotant :

« Tu crois que la prochaine fois que ça m'arrive tu pourrais filmer selon des indications bien précises ? Un court métrage du genre 'la main ensanglanté' mais avec toute une philosophie délivrée en voix off genre un texte célèbre enfin un discours qui n'ait aucun rapport, pour créer quelque chose de vraiment surréaliste... De décalé ! Et ça créerait un effet comique par conséquent. Le tout accompagné de bon rock.... Ouais non t'en penses quoi ? Peut-être que je devrais rajouter des effets d'ombre et de lumière en fond, histoire de créer un mouvement derrière l'image principale, pour donner un style rêvé... Tu vois ? »

Complètement emballée par son projet, elle en avait oublié d'être claire. Mais au moins, le temps était passé plus vite et c'était à présent l'heure de finaliser le repas, surtout que tout le monde pouvait se pointer d'un moment à l'autre. Il faudrait aussi qu'elle nettoie ce qu'elle avait taché, même si elle avait fait en sorte de ne pas trop salir la cuisine.

"Non... Le pansement avec les dinosaures ira d'ailleurs très bien avec ta nouvelle couleur de cheveux."

Souriant un peu à la demande de sa soeur et amusée par ses grands yeux enfantins, Alicia sortit de l'armoire à pharmacie la boîte de pansements que seules Elisabeth et Chloé utilisaient d'ailleurs, avant d'en choisir un à la bonne taille et de le mettre sur le petit bobo de la miss. Après s'être assurée qu'elle pouvait plier à peu près correctement le doigt (imaginez un peu qu'un nerf ait été touché ?), la jeune femme se lava les mains et invita sa soeur à en faire de même, l'écoutant, étonnée, parler de son projet de film. Un film ? Un court métrage sur une main en sang ?

"Euh... Oui je vois. Mais je préfèrerais que tu fasses ça avec du ketchup plutôt qu'avec du vrai sang tu vois, parce que l'idée que tu te coupes une nouvelle fois ne me branche pas tellement tu vois ? Ou avec de la peinture, on essayerait de retrouver la couleur du sang et de la rendre plus liquide pour que ça fasse plus réaliste."

Tendant la serviette à Chloé, elle finit par ranger tout ce qu'elle avait sorti dans l'armoire à pharmacie et referma celle-ci à clé afin qu'Elisabeth n'aille pas fouiller dedans, même si normalement, elle était trop petite pour l'atteindre. Mais sait-on jamais... Alors la clé était également planquée dans un tiroir, entre le panier avec les brosses et les peignes et celui avec toutes les pinces à cheveux. Au moins, là, la petite fille ne la trouverait pas.
Trêve de discussion sur l'armoire à pharmacie, il y avait une salade de pâtes qui attendait les deux demoiselles dans la cuisine.

"Allez l'artiste, si tu veux manger, il faut qu'on y retourne... Mais je t'interdis de toucher à un couteau ou autre objet tranchant, ok ?"

De retour dans la cuisine, elle égoutta les pâtes, finit de préparer l'assaisonnement, sortit du réfrigérateur les morceaux de blancs de poulet déjà tous découpés, etc.

« Non, non pas du ketchup ! Ou de la peinture ! C'est pas aussi pur que ce rouge-là tu comprends ? C'est pas la même couleur... Celle-ci est ma-gni-fi-que ! Mais si tu veux, je me couperai pas intentionnellement... De toute façon ce genre de blessures m'arrive toujours – même si là c'était vraiment plus effrayant que d'habitude – tu sais bien, je suis une catastrophe ambulante ! »

En effet, la maladresse de Chloé était une partie d'elle aussi importante que sa manie du rangement ou sa vision artistique. Les objets cassés, les feuilles cornées, les marches manquées, les poteaux auxquels elle se cognait dans la rue, ou quoi que ce soit d'autre étaient les résultats d'inattentions et de mauvaise coordination de ses mouvements. En clair, elle semait le désordre sur son passage, elle qui aimait pourtant que tout soit bien rangé. Mais c'était un trait de famille, apparemment, sauf que les autres ne s'en amusaient pas comme elle.

Elle suivit Alicia jusqu'à la cuisine et s'installa sur une chaise, regardant sa soeur à l'action. Pour sa part, elle n'avait plus vraiment grand chose à faire, mais était prête à suivre les instructions, si instructions il y avait. En attendant elle fredonnait 'Hey Jude' tout en songeant à son envie soudaine d'écouter les Beattles et aussi qu'elle commençait à avoir faim. Entendant un bruit de porte, elle se demanda qui ça pouvait bien être, avant de se rendre compte que ça ne venait pas de chez eux, mais de l'appartement des voisins.

*Ca arriverait pas si on avait une maison... Mais ça impliquerait qu'on se terre dans une banlieue pourrie.*

Au moins, pour une fois, ce n'était qu'une porte et pas la télévision avec des émissions de télé-crochet qui étaient tout simplement une honte pour la musique. Car leurs voisins raffolaient de ce genre de programmes et ne se gênaient pas pour en faire profiter tout l'immeuble. Mais le pire devait encore être lorsqu'ils se regardaient en boucle des DVD de comédies qui, respectivement étaient une honte pour le cinéma.

« Faudrait suggérer au parents d'épaissir les murs. »

"J'avoue que le rouge sang est vraiment beau mais je compte bien sur toi pour ne pas te couper intentionnellement. Quant à ton film, je t'aiderai à condition qu'Elisabeth ne soit pas là, que tu ne sois pas en train de te vider de ton sang et qu'on ne soit pas pressées. Et je rajouterai peut-être d'autres conditions quand j'en trouverai."

Et la maladresse était un point commun entre les deux soeurs. Alicia aussi était une pro pour râter une marche, se tordre la cheville, faire tomber un objet en verre, se cogner à un meuble ou se prendre une porte entrouverte parce qu'elle avait la flemme de l'ouvrir entièrement. Et ça ne l'amusait pas du tout, parce qu'elle avait intérêt à faire attention, quand elle pratiquerait la médecine, à tout renverser accidentellement ou à bousculer un patient par exemple. Enfin, il y avait du progrès depuis son enfance, mine de rien, à la différence de Chloé qui était toujours Miss Catastrophe.

En effet, puisqu'Alicia interdisait Chloé de toucher au moindre couteau ou autre objet tranchant, il n'y avait plus grand chose à faire... Terminant de préparer la salade de pâtes dans un grand saladier, elle recouvrit le tout avec une grande assiette avant de le mettre dans le réfrigérateur et de ranger tout ce qu'elle avait sorti, le tout en se joignant à Chloé dans leur magnifique interprétation de "Hey Jude". Magnifique ? Ouais, même si Alicia chantait un peu faux, mais juste un peu.
Elle aussi avait entendu le bruit d'une porte s'ouvrir et se demandait qui c'était, mais lorsque la porte se referma, elle comprit que ça venait de l'appartement voisin. Bon... Si personne n'arrivait, la famille ne risquait pas de passer à table et le ventre d'Alicia ne serait pas content... La preuve : il commençait à gargouiller doucement. Souriant un peu à son manque de discrétion, elle répondit à Chloé tout en s'asseyant sur une chaise.

"Oui, ça pourrait être une bonne idée... On insonorise l'appart', comme ça, on n'aura plus le bruit de pas des voisins du dessus, la télé de la mamie d'en bas et les bruits de portes claquées de nos voisins d'en face. J'oublie quelque chose ?"

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